Un art de la parole partagée
Le conte est un art de la parole partagée : ses histoires voyagent de bouche à oreille, touchent les cœurs à leur manière pour être répétées autrement. Ainsi, lors d’une contée, tant le public que la ou le conteur participent à un événement unique. Ce qui est dit et entendu est le résultat d’une alchimie de l’instant, faite des mots choisis ce soir là par l’artiste et des liens qu’elle·il parvient à tisser avec le public.
Un conte évolue constamment à travers les époques. Issu de la tradition orale, il s’inscrit dans une double tension : à la fois déjà entendu, car lié à un répertoire à ne pas oublier, il est réactualisé en permanence par celles et ceux qui le racontent. Dans cette perspective, le délicat travail de la conteuse ou du conteur, ne va pas être celui d’un auteur, mais celui d’un passeur d’histoires. Autrement dit, il doit parvenir à raconter une histoire connue tout en donnant envie à celles et ceux qui l’écoutent de se l’approprier pour la raconter à leur tour. Dans ma pratique, je tente d’y parvenir en suivant trois principes : témoigner, dire sans montrer, faire rêver.
Témoigner
En étant témoin de l’histoire racontée, la ou le conteur se met dans la position de celui qui dit une histoire vraie. De cette manière, il accentue la « véracité » de son propos et l’impact qu’il peut avoir sur l’imaginaire du public. Par ricochet, ce procédé propose au public d’être témoin à son tour de l’histoire qu’il est en train d’entendre. Pour ce faire, la ou le conteur ne dit pas ce que le personnage pense, il dit l’action qui traduit sa pensée. Ce principe permet à chacun·e de compléter le dialogue intérieur qui se joue face à elle·lui, non plus avec des mots, mais avec son propre ressenti.
Dire sans montrer
Selon moi, l’une des spécificités du conte réside dans le fait qu’il s’agit d’un art qui dit sans montrer1 . Ce n’est pas par la description ou l’illustration qu’il se distingue, mais au contraire en en faisant l’économie au profit de l’évocation. Ainsi, la parole conteuse dit beaucoup avec peu de mots. Ce qu’elle met dans l’ombre, elle l’offre à l’imagination et aux fantasmes. Car si le cinéma montre projeté sur une toile la vision d’un réalisateur ou d’une réalisatrice, le conte ne donne que des directions à l’imagination pour qu’elle réalise son propre film.
Faire rêver
Pour trouver les mots justes, la ou le conteur doit aller chercher les images intérieures, souvenirs et sensations capables de nourrir l’histoire qu’il·elle est en train de raconter. C’est dans un état proche du rêve qu’il·elle parvient à les atteindre pour mieux les partager. Michel Hindenoch disait dans une interview que « Le conte est un art des cavernes. Bleu-noir, c’est la seule couleur, la seule lumière qui convienne… »2. Selon moi, la ou le conteur doit emmener le public avec lui dans cette « caverne », cet endroit proche du rêve où les images et les sensations prennent vie. Pour éviter de briser le charme, il doit parvenir à s’effacer pour laisser seuls les mots, parfois la musique, faire voyager le public, sans le « réveiller ».
1 Michel Hindenoch, Conter, un art?, Les éditions du Jardin des mots, Sermamagny, 2012, p. 10.
2 Ibid, p. 142.